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tribulations argentines
16 juillet 2006

El bigote, cartoneros

dimanche, jour de pluie

Les porteños de Boedo viennent tuer l humidite lascive des longues heures grises d un dimanche apres midi dans cette petite confiteria bleue et mauve. Ca fe fumant et petites douceurs entre machos moustachus... Petits vieux desoeuvres, jeune couple se rincant les dents au cafe, une grand mere et son petit fils absorbes, l un par sa presse a sensation, l autres par son pave de roman....

J aurai aime invite Raoul a prendre un cafe. Je n ai pas ose. On s est promis un mate, non sur les tables de bois verni de la confiteria mais chez lui, sous l ombre moite du pont...

Raoul habite un bout de trottoir, matelas de mousse humide et molle cale entre deux enormes balles de toile synthetique, pleines a craquer de ces moissons urbaines... Un cadre de tele desossee en guise de table, un petit cageot de provisions, un mate et le charriot un peu plus loin. Amas de bois et de plastique abritant tant n¡bien que mal, la precieuse cargaison de papier...
Une adrese : Maza, sous le pont autoroutier.

"El Bigote" (le moustachu) comme l on surnomme les gens du quartier habite a deux cuadras de chez moi, et mon bus, chaque jour en demarrant au feu, lui crache son haleine noire a la gueule.
Je connaissais donc bien ce tas informe dans l ombre du pont, mais cet apres midi, je suis allee rencontrer el Bigote et j ai bafouille je ne sais plus trop quoi, quelque chose comme : "je voudrais comprendre...les cartoneros.... j vais ptetre vous paraitre naïve mais....euh..."
Perplexe mais patient, il m a ecoute jusqu a ce que j arrive a formuler une question claire :
- Vous êtes cartoneros ?
- Oui.
- Et vous ne travaillez pas aujourd hui a cause de la pluie ?
- Non le papier est trempe, ca ne vaut rien mouille, hier non plus, j ai pas pu bosser. C ets long ces journees la !

La discussion etait lancee et je me sentais moins importune : il etait bavard et il s emmerdait.

Raoul a 60 ans. Il etait garcon de cafe et aide de cuisine, quand il a perdu son emploi a 59 ans. A cet age, tu ne presentes plus assez bien pour retrouver du travail, d autant moins que tu vis dehors, protege de la pluie et du soleil mais pas de l humidite, du vent et du froid.
Cheveux cendres, traits tires, peau tanee, joues creusees, mal rasees...

Pas d allocation chomage, mais de splans nationaux pour les "desocupados, jefe de familia", les chomeurs chef de famille : 150 pesos (45 euros) si et seulement si tu as des enfants a charge. Raoul n a pas d enfant. Il a eu le droit d aller faire quatre heure de queue au Secretariat des Affaires sociales pour deux paquets de farine, un de lentilles, de pate, de riz : ration unique, non renouvelable.

Sans aucun revenu, fatigue et affame d essuyer des refus d embauche, Raoul a quitte son appartement pour une chambre de pension familiale (y en a plethore ici), s est achete un charriot et a commence a collecter le papier, c est sa branche, la plupart des cartoneros sont ainsi specialises, mais sans cracher sur le metal...
Et son charriot, il l attachait a un arbre devant la pension jusqu a ce qu il se fasse voler. Maintenant, il vit dehors, veillant son charriot et sa recolte. De toute facon, la chambre etait trop chere et il fallait la payer d avance... Or les cartoneros sont a la merci des avaries, jours de pluie=chome, et des balances de leurs acheteurs, usine de recyclage si t as les moyens d acheminer ta cargaison en province (suppose une fourgonnette au minimum) ou intermediaires encore moins scrupuleux... Les cours sont fixes par ces acheteurs, qui reglent leur balance, volent et truquent a leur guise sans que tu n aies personne a qui te plaindre.
Raoul sait que ses grands sacs pleins pesent 140 kg et il a un acheteur honnete quant a la pesee. Mais pour ce qui est du prix, tout degringole : il y a deux mois, le papier valait 65 centavos (1.30 francs) le kg, il ne vaut plus que 20 centavos imprime et 35 pour le paier blanc. Le cuivre valait 19 pesos le kg, il ne vaut plus que 11 pesos (22 francs).

El Bigote arrive a reunir 100 pesos (200 francs) en 4 a 5 jours, somme qu il confie a une vieille dame au coin de la rue, credit au fond d une chaussette sous le matelas. Les voisins le connaissent, certians lui apportent de quoi bouffer, un peu, d autres des vètements ou des livres.

Chaque jour le meme trajet derriere son charriot, les memes ornieres, battant le pave des rues Maza, Belgrano, Colombres, Independencia, La Plata, San Juan... Ne pas empieter sur les plates bandes des collegues. La competiton est rude, bien que depuis quelques jours, Raoul se rejouissent malgre lui, profitant de l infortune des autres cartoneros du quartier, coinces pour acheminer leurs marchandises en province, la ou se recyclent les monstrueuses poubelles que produit la capitale. Si Raoul travaille seul, la majeure partie des cartoneros sont organises en differentes petites cooperatives et investissent ensemble dans l achat d un camion ou ils s entassent au sommet des balles de dechets recyclables. Mais ces camions sont en soi deja de dangereuses poubelles mecaniques, vetustes et branlantes et le gouverneur de la province vient de leur interdire l acces a la capitale, les policiers filtrant l acces aux ponts, goulot d etranglement de la circulation au sud de la capitale, suite quoi les cartoneros repondent occupant ces memes ponts, barrant tout le traffic : les fameux piquetes... Pour l instant, ils n ont rien obtenu et Raoul a le champ libre pour sa recolte !

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